Des pièces tout chocolat
Stéphane Leroux
Bleu chocolat
BAI / BELCOLADE
17 septembre 2017
crédit photo TOM SWALENS
« Si je n’avais pas réalisé ce livre, je pense que je serais resté à ce que je faisais, il y a de cela deux ans, certes avec une évolution,
mais bien moindre que ce que vous pouvez voir dans « Bleu Chocolat ».
« Dans mon travail, je n’ai d’intérêt que pour le plaisir que cela me procure, le plaisir de créer et de faire également plaisir aux autres, de partager. »
« J’ai entendu une fois que l’inspiration n’est pas le problème, ça tout le monde peut en avoir. Le plus compliqué c’est l’expiration. »
– Pouvez-vous nous parler de vous, votre formation, votre parcours?
J’ai été élevé dans un milieu de culture artisanale, ayant pour doctrine « Choisis un beau métier, pratique-le avec amour et sérieux, ça devrait pouvoir te rendre heureux ! » . Et n’étant pas très motivé pour suivre de longues études, c’est donc sans regret que j’ai quitté l’école et débuté dans la profession dès l’âge de 15 ans.
J’étais attiré par le chocolat mais le diplôme de chocolatier n’existant pas à cette époque, j’ai donc commencé à pratiquer en tant qu’apprenti pâtissier à Chantilly dans ma ville natale. Ce n’est que bien plus tard que je me suis réorienté vers le chocolat.
Après 3 ans d’apprentissage, et ayant surtout l’envie de voyager, je me suis tourné vers le compagnonnage. Là, j’ai parcouru la France et l’Europe durant une période de 8 années. Cela m’a enseigné l’esprit et une certaine vision dans la pratique d’un métier, le partage et la transmission. Cette étape reste un moment important dans mon parcours personnel et professionnel, il est complètement dépendant de mon état d’esprit.
Après 11 années de pratique intense, j’ai ressenti le besoin de savoir où je me situais d’un point de vue plus professionnel. Je me suis donc tourné vers les concours et la compétition, pas vraiment en rapport avec le compagnonnage où l’esprit de compétition n’a aucune place.
A vrai dire, le seul concours qui m’intéressait était celui de Meilleur Ouvrier de France, plus proche de l’esprit du Compagnonnage, tout au moins dans l’envie d’être également reconnu pour sa valeur professionnelle. De plus mon père était lui-même lauréat de ce titre en 1979. J’ai donc commencé par celui-ci, et là je dois admettre que c’était peut-être un peu osé, vu mon manque de préparation pour affronter cette épreuve. Je n’ai donc pas obtenu ce titre lors de ma première participation à la finale de 2000, mais j’ai beaucoup appris sur moi-même, je n’étais de toute façon pas prêt à assumer ce titre donc, aucun regret. Je ne l’ai jamais considéré comme étant un échec, bien au contraire.
J’ai donc remballé ma fierté et me suis confronté à des concours plus en rapport avec mon niveau de connaissance de l’époque avant de revenir vers celui de Meilleur ouvrier de France que j’ai obtenu par la suite en 2004.
Entre temps j’ai remporté le trophée Pascal Caffet en 2001. J’ai également participé à deux coupes du monde aux États-Unis ; médaille de Bronze en 2002 et vice-champion du monde 2004 avec deux premiers prix internationaux pour les pièces artistiques en chocolat lors de ces mêmes compétitions.
Ces quatre années ont été très éprouvantes et intenses pour moi et mon entourage ; elles ont néanmoins été nécessaires et elles ont contribuée à une meilleure préparation de l’épreuve ultime des Meilleurs Ouvriers de France. Marc Debailleul, Meilleur Ouvrier de France Pâtissier, m’a également beaucoup aidé au cours de cette période. Malgré tout cela, je n’ai pas l’esprit de compétition et je n’aime pas ce qu’il peut parfois véhiculer en compétition…
A mes yeux, le travail qui permet d’obtenir le titre de l’un des Meilleurs Ouvrier de France est bien une épreuve, tant humaine que professionnelle et non une compétition.
Après ces différentes étapes importantes et n’ayant pas fait le choix de m’installer de manière à garder cette indépendance et cette mobilité qui me sont chères, il m’a paru indispensable d’avoir d’autres projets pour continuer à progresser dans ma vie et mon travail, j’ai donc rejoint l’entreprise Belcolade qui m’emploie aujourd’hui depuis plus de dix ans et m’a permis de partir à la découverte du monde et de réaliser trois livres professionnels, « Matière Chocolat » en 2008, « Le Praliné » en 2013, « Bleu Chocolat » en 2017.
– Quel a été le premier thème (celui que vous avez abordé en premier artistiquement dans votre (s) profession (s): design culinaire, sculpture, dessin ou autre)? Pouvez-vous nous montrer une photo de cette œuvre?
C’est lors de mon apprentissage que j’ai réalisé ma première pièce artistique, je devais avoir 16 ans et j’avais choisi le thème de la musique. A l’époque les pièces était plutôt dans la reproduction de « natures mortes », et très posées. Il y avait un violon et son archet en pastillage peint avec de l’extrait de café, un portrait de Mozart peint avec des colorants (ma mère m’avait aidé à le peindre), une partition enroulée en pastillage, des branches couvertes de chocolat noir ( comme ça se faisait à l’époque), des feuilles et des roses en pâte d’amandes. Mais bon, cela m’avait valu de passer en photo dans le journal local avec mon patron d’apprentissage, inutile de vous dire que j’étais très fier.
– Comment êtes-vous arrivé à travailler sur les thèmes de votre dernier livre d’un point de vue sculptural ?
A dire vrai les thèmes artistiques que j’aborde aujourd’hui sont les mêmes depuis plusieurs années, ce sont les techniques de travail que j’emploie qui ont le plus évoluées. Je représente les choses bien plus simplement aujourd’hui qu’il y a dix ans avec un peu plus de maturité et de maitrise. Mon regard sur les choses a également beaucoup changé. Si je n’avais pas réalisé ce livre, je pense que je serais resté à ce que je faisais, il y a de cela deux ans, certes avec une évolution, mais bien moindre que ce que vous pouvez voir dans « Bleu Chocolat ».
La pratique quotidienne et les projets restent les seuls moyens qui contribuent à vous faire avancer encore et toujours. L’engagement aussi.
Je voulais également changer dans la manière de mettre en valeur les sujets et partir sur des représentations plus panoramiques.
Je me suis concentré sur la technique et non sur des montages de pièces. Cette démarche m’a également permis de travailler sur des sujets que je n’aurais pas pu exploiter autrement ou que je n’aurais pas soupçonnés et qui sont apparus au fur et à mesure que le travail du livre avançait.
-Allez-vous passer à une échelle industriel le, ou allez-vous réserver cet exploit technique à la transmission dans le cadre du livre ?
Comme je l’ai exprimé plus haut, ce que je réalise me permet de continuer à évoluer dans mon travail et dans ma démarche artistique. J’aime apprendre, comprendre et transmettre ce que j’apprends par mes expériences de travail et de vie. Dans mon travail, je n’ai d’intérêt que pour le plaisir que cela me procure, le plaisir de créer et de faire également plaisir aux autres, de partager.
Produire à échelle industrielle ne peut pas me procurer le même plaisir, et de toute façon, cela ne m’intéresse absolument pas.
– Qu’est-ce qui vous inspire en général?
Tous les sujets m’intéressent en fait, même les sujets de société et j’ai tendance à tout rapporter à ce que je réalise en chocolat, parfois au plus grand désespoir de mon entourage…
J’ai entendu une fois que l’inspiration n’est pas le problème, ça tout le monde peut en avoir. Le plus compliqué c’est l’expiration.
Je trouve que c’est une très bonne réflexion, cela met en évidence l’importance d’être techniquement capable et de savoir comment produire ce que l’on a imaginé ; c’est là que tout l’intérêt de la transmission des savoirs techniques prend toute sa valeur.
Certaines personnes considèrent qu’à partir du moment où on a une idée, cela peut rendre légitime une création artistique qui a été produite par d’autres. Pour moi la plus belle chose n’est pas d’avoir une idée mais d’avoir la possibilité et le plaisir de la réaliser soit même en y mettant ses propres émotions, je ne vois pas la création artistique autrement.
– Que faites-vous actuellement? Sur quoi travaillez-vous?
Je travaille à la promotion de « Bleu Chocolat », je donne des formations techniques et pratiques sur le travail des pièces en chocolat. J’ai également d’autres projets avec Tom Swallens le photographe avec qui j’ai travaillé sur ce livre … je voyage à travers le monde pour Belcolade pour la mise en valeur du chocolat en pâtisserie et chocolaterie.
En fait j’ai du travail et je continue mon chemin. Ce que je n’aime pas c’est la routine, c’est pour moi la pire des choses qui puisse m’arriver. En fait je suis comme un âne, j’ai besoin d’une carotte pour avancer, donc des projets et encore des projets, et surtout, pas de regret.
– Vous exposez, exposerez ou avez déjà exposé ces sculptures ? Où ? Et à quelle occasion ? Est-ce que le chocolat est une matière qui tient le coup, ou est-ce des œuvres éphémères ? Quels sont vos projets?
J’ai travaillé dans le cadre de la promotion de « Bleu Chocolat » sur de petites expositions ici en Belgique et sur Paris également, mais cela peut parfois être compliqué en termes de transport. J’aimerais aussi en réaliser d’autres dans le futur avec de nouvelles créations.
Le chocolat est une matière qui peut se conserver s’il est maintenu à bonne température et à l’abri de l’air, mais c’est une matière fragile. C’est ce qui peut rendre la chose intéressante, nous sommes toujours dans l’éphémère et dans le perpétuel recommencement, c’est une habitude dans notre profession. Le livre est là aussi pour transmettre et ne pas oublier …Mais cela peut parfois être très frustrant.
Il est des pièces que j’aurais aimé conserver, tant pis, mais est-ce bien important ?